Dans un important et riche article intitulé «Les usages, croyances, traditions, superstition etc … ayant existé ou existant encore dans les divers pays du département de l’Yonne» publié en 1888 dans le numéro 42 du Bulletin de la société des sciences de l’Yonne, le savant avocat Charles Moiset rapporte quelques traditions qui concernent Chablis ; nous les retranscrivons ici telles quelles dans l’ordre du calendrier des fêtes :
Le carnaval
Au sujet du mannequin «Carnaval» que l’on poursuit dans les rues et que l’on brûle symboliquement le Mardi Gras, avant l’entrée en Carême :
«A Chablis, où Carnaval s’appelait Grégoire, on disait : «Où est Grégoire ?» Carnaval, de son côté, représenté par un mannequin en paille habillé, était roulé sur une charrette par une autre troupe de masques qui, pendant une heure ou deux, le dérobait aux chercheurs. Au bout de ce temps, on le laissait prendre. Alors on conduisait le maudit sur la place publique, où un tribunal se constituait parfois devant une potence, et instruisait son procès dans les formes. Dès ce moment, le pauvre Carnaval devenait le bouc émissaire de tous les péchés….
A Chablis, il y a trente ans, l’exécution de Grégoire était l’occasion d’une belle fête carnavalesque à laquelle assistaient les habitants des Communes environnantes. On faisait une partie illuminée et, pour couronnement, des entrailles de Grégoire partait un brillant feu d’artifice»
La «roulée» des oeufs de Pâques
Un drôle de jeu avec les œufs de Pâques.
Le lundi suivant la fête, «on faisait rouler sur un plan incliné, des œufs qui, avant de s’arrêter, devaient s’entrechoquer avec d’autres placés au repos et servant de but… En certains endroits (Saint-Florentin, Quarré-les-Tombes, Chablis), enfants et même grandes personnes jouaient, il n’y a pas longtemps encore, à la toquette avec des roulées. L’un des joueurs présentait à l’autre l’extrémité d’un œuf enveloppé le plus possible dans la main. L’adversaire devait frapper son œuf du même bout. L’œuf cassé était acquis au partenaire dont l’œuf avait résisté au choc.
A Chablis, quand un joueur malheureux avait épuisé sa provision, il payait une petite redevance et obtenait la permission de changer de « bout »
Les feux de la Saint-Jean
«A Chablis, les feux de la Saint-Jean ont pour objet de souhaiter la bienvenue aux nouveaux habitants. Dans chaque quartier on prépare autant de feux qu’il s’y trouve de nouveaux venus. Le soir, les plus vieux du quartier vont, munis de torches de glue enrubannées et fleuries, inviter les nouveaux résidents à allumer les bûchers dressés en leur honneur. Si ce sont des dames, on leur offre les bras pour les conduire au bûcher. Quand le feu est allumé, on lance des pétards dans le foyer, on danse en ronde autour ; puis, le bois consumé, les vieilles femmes ramassent la braise et la conservent comme un préservatif contre la foudre et les épidémies. Ceux qui ont allumé les feux invitent toutes les personnes qui ont assisté à la cérémonie, et même les passants, à aller s’assoir à des tables chargées de rafraîchissements, qu’ils ont fait établir devant leur porte. On boit, on chante et la fête se prolonge jusqu’à minuit».
LES VENDANGES
«A Chablis, il y a peu de temps encore, le dernier marc que l’on faisait dans un pressoir était célébré par un redoublement de réjouissances et de bombances. Pendant le repas, les pressureurs chantaient à pleine gorge en frappant avec les chevilles de la roue sur la table ou sur des tonnes. Puis ils promenaient triomphalement dans les rues soit le maître du pressoir, soit l’un d’eux trônant sur une tinne que l’on portait sur les épaules, de même que pour le transport du vin. La procession se faisait au milieu de chants et de bruits produits par des coups frappés sur un objet sonore. Pour terminer, on offrait un énorme bouquet au maître du pressoir. Ce bouquet était planté au-dessus de la porte du pressoir, où il restait jusqu’à l’année suivante.
LES CONSCRITS
«A Beines, il existe sur le bord de la route, un vieil orme qui sert à la pratique d’une vieille coutume assez bizarre. Lorsque, chaque année, partaient les conscrits de Chablis, leurs camarades et les jeunes gens de la conscription suivante les accompagnaient, tambour en tête et en chantant, jusqu’à Beines, qui est à six kilomètres. Arrivés devant l’orme, la troupe s’arrêtait : chacun des conscrits plantait dans l’arbre un clou qu’il avait fait fabriquer et qui, souvent, portait son nom.
Après quoi on buvait la dernière bouteille, on se donnait la dernière accolade, et l’on se séparait.
(…) La plupart des conscrits se rendant aujourd’hui en voiture à Auxerre, la reconduite ne se fait plus jusqu’à Beines, mais seulement jusqu’à l’extrémité du pont de Chablis».